Partir du postulat que le jeu peut être un art et reconnaître l’auteur de jeux comme un artiste ouvre des perspectives.
L’acte de création ne diffère pas fondamentalement suivant le média utilisé, qu’il soit pictural, ludique, cinématographique, etc.

  • Le Jeu, œuvre de l’esprit, est également une œuvre artistique à part entière dont les spécificités sont la pratique collective et le mode de commercialisation.
  • Le jeu est un art dans sa manière d’être reçu par ses publics (les joueurs).
  • Le jeu peut faire rire, émouvoir, interroger le joueur sur son comportement, sa relation aux autres, sa manière de réfléchir, etc. Autant d’aspects que l’auteur a anticipé, voulu et organisé.

L’importance du jeu en tant qu’objet culturel en est renforcé et permet de changer le regard sur ce qui est souvent trop rapidement considéré comme uniquement du divertissement.
Dans cette perspective, la résidence d’auteurs de jeux sur Toulon, dans la lignée des résidences d’artistes « plus traditionnels » (dans des arts déjà reconnus comme tel), ouvre un espace-temps idéal.

Article repris du site TricTrac.net

Le cadre de la résidence
L’association les Yeux dans les Jeux a cherché à proposer un cadre idéal :

  • une semaine complète de résidence sans interruption avec un lieu de travail et des temps libres réservés à la création, articulés par des rencontres avec divers acteurs locaux liés à la culture et à la création.
  • un duo d’auteurs qui se renouvelle de moitié chaque année assurant par la même une continuité des fondamentaux de la résidence
  • une grande liberté pour les auteurs dans la gestion du contenu de la résidence et des recherches qu’ils entreprennent en son sein (choix du nouvel auteur résident par l’ancien, possibilité de projets ludiques personnels en binôme, etc.)
  • une rémunération symbolique permettant aux auteurs de se consacrer exclusivement à la résidence
  • un défraiement (déplacement, repas, hébergement…)

Ces deux derniers points permettant à tous d’envisager cette parenthèse hors des impératifs financiers du quotidien.

“Cette histoire de « résidence » c’est comme un nouveau jeu qu’on lance : au
début c’est un projet fou en l’air et quelque fois le miracle se produit, s’installe et
se transmet longtemps !
Bonne chance à cette résidence, je reviendrai ! »

Philippe des Pallières

Une résidence pour créer ensemble

Habituellement, les principaux espaces de rencontre entre auteurs se situent sur des temps très fragmentés de festivals où la démarche est plus communicative que créative. Ils se rencontrent aussi par affinité sur des temps de travail courts (de quelques heures à une journée) que ce soit en direct mais avec une contrainte de proximité géographique, ou par internet avec une certaine froideur dans l’échange, c’est toujours fragmenté et dans un stress lié au délais disponible. Hors
la création ne se plie pas à des horaires préfixés.
Prendre le temps de la rencontre sur une durée longue entre deux auteurs, laisser de nombreuses plages horaires inoccupées pour créer sans contrainte, c’est là l’un des sens de cette résidence d’auteurs de jeux.

Ainsi, cette résidence peut permettre aux auteurs de :

  • Se renforcer mutuellement sur leurs postures artistiques en tant qu’auteurs de jeux. Aujourd’hui, le jeu de société est trop souvent considéré comme un simple divertissement par le grand public et même par de nombreux acteurs du milieu (médias, éditeurs, commerciaux, vendeurs et même certains auteurs de jeux). Trouver un lieu et un temps où cette posture d’artiste est pleinement reconnue donne un élan, un souffle plus important pour porter les futures créations post résidence.
  • Échanger sur leurs expériences au sein de la sphère ludique et ainsi d’approfondir la connaissance indispensable du milieu (éditeurs, jeux, distributeurs, etc.).
  • Travailler à la reconnaissance de l’artiste-auteur de jeu comme Artiste à part entière. Echanger, convaincre, expliquer, communiquer avec le public, puis le formaliser par l’écrit.
  • Comparer les approches artistiques. Chaque auteur a ses spécificités, son approche personnelle, sa sensibilité, son intention. En discuter permet une plus grande prise de conscience. Les auteurs en sont mutuellement enrichis.
  •  Expliquer leurs intentions créatives, les oraliser. Le processus créatif utilise des cheminements qui sont instinctifs. Le fait de pouvoir prendre du recul, d’en discuter, permet de mettre des mots précis sur des pensées. Cela permet de manipuler ces concepts avec plus de facilité et de ce fait d’enrichir la création et de la faire mieux correspondre à l’intention initiale.
  • Prendre le temps de cheminer, d’arpenter autour d’idées, de concepts ludiques qu’ils ont pu avoir à un moment donné sans pour autant prendre le temps de les développer.
  • Avoir un reflet, un regard complémentaire de l’autre auteur afin d’avancer plus avant sur son concept. Comme dans d’autres domaines artistiques, le fait de travailler ensemble sur une durée conséquente permet d’explorer un concept sous un angle différent, de le transformer, le réorienter par ricochet pour l’amener à une forme plus pertinente.
  • Initier un travail collaboratif sur un ou des projets ludiques.
  • S’inscrire dans une durée longue en passant le relais de la réflexion et des actions à d’autres (au fil des années), et par là même renforcer une communauté.

 

« Cette résidence m’a permis, au delà des nombreuses rencontres et échanges,
de prendre le temps du recul sur ma manière de créer des jeux, sur ma démarche
artistique. Aujourd’hui, je pense que je suis artiste – auteur de jeux de société. Les
jeux que je crée ont une intention, une volonté de délivrer un message, une envie
de créer une relation particulière entre les joueurs. »

Julien Prothière

Une résidence pour rencontrer

Le jeu crée un espace de rencontres privilégié entre les joueurs. Positionner ce concept de la rencontre, en l’élargissant à différents acteurs locaux, au cœur de la résidence d’auteurs semblait essentiel avec deux objectifs prioritaires :

  • créer des rencontres avec des publics peu ou pas souvent confrontés à des artistes.
  • amener le jeu de société là où il n’est pas forcément attendu.

Les auteurs ont ainsi pu rencontrer des publics divers avec des attentes variées :

      • des écoliers :

        Plutôt familiers de l’univers des jeux de société, les écoliers ont acquis certains « automatismes » dans ce domaine. Il a donc été décidé de proposer aux écoliers des pratiques ludiques inhabituelles pour eux, notamment à travers des jeux coopératifs, des jeux d’équipes (« Check », « Dream On ! »). Faire « avec » ses adversaires, devenus partenaires et qu’il faut prendre en compte, change radicalement le rapport entre les joueurs tel qu’établi plus classiquement dans les règles de jeux.

     

    •  des lycéens :

      À un âge où les pratiques ludiques orientent les jeunes davantage vers les jeux vidéo et les jeux de cartes à collectionner, il a semblé important et pertinent de porter un éclairage sur des jeux de société différents. Plus surprenants, moins traditionnels, que ceux qu’il ont pratiqués durant leur enfance.De plus, le lycée est un lieu d’éducation et d’enseignement où le jeu n’existe, au mieux, qu’à travers les serious games, support vidéo ludo-pédagogiques dont la finalité est avant tout éducative.
      Dans le cadre d’un cours d’histoire-géographie, la présentation d’un jeu de société contemporain, aux mécanismes innovants et surtout coopératifs, s’inscrivant dans un contexte historique précis et documenté (« Les Poilus ») a permis d’offrir à la fois aux élèves et aux enseignants une approche originale du monde du jeu. De quoi faire progresser la cause ludique.
    •  

    • des étudiants de l’Ecole Supérieure d’Art et de Design :

      Si ces publics sont davantage habitués à rencontrer des artistes, plus rares sont pour eux les occasions d’aborder les jeux – qui occupent malgré tout une place non négligeable dans leurs activités personnelles. Cette rencontre a été très enrichissante pour les étudiants. Ils ont pu poser aux auteurs des questions très précises liées aussi bien à l’acte de création qu’à celui de fabrication ou, plus largement, à l’aspect professionnel. Enrichissant aussi pour les auteurs qui pu bénéficier des réactions, des retours et des idées d’un public ouvert, pertinent et impliqué.

 

    • des utilisateurs du FabLab :

      Une occasion parfaite pour confronter le monde de la création, des idées et des concepts et celui des techniques et de la fabrication. La fabrication numérique permet d’atténuer la frontière entre la création débridée et sa concrétisation matérielle. Les possibilités nouvelles en terme de matériaux et de formes alimentant la créativité des auteurs et permettant aux participants d’exprimer leur réactivité. Cette rencontre s’inscrivait dans la continuité de celle proposée l’an passé et à une nouvelle fois permis de faire émerger le monde des objets et de leur utilisation ludique.

 

    • des journalistes de différents médias :
      Les médias locaux (presse, radio, Internet…) commencent, lentement, trop peut- être, à enregistrer qu’un événement atypique se déroule sur leur territoire. Bien qu’ils soient plus attachés aux racines locales et de terroir qu’à l’innovation et à la création, la transcription de la résidence commence à prendre une certaine place et à soulever des intérêts et des curiosités.

 

    • la population :

      Dans des bars et restaurants, quelques occasions ont permis à des familles et à des jeunes, joueurs ou moins joueurs, d’essayer quelques jeux et d’échanger avec les auteurs.
      Dans une boutique, où les gérants et quelques clients joueurs ont pu discuter et se questionner mutuellement. Toujours dans un but de comprendre mieux l’autre, ses raisonnement et ses motivations.

 

    • les organisateurs du Festival Toulonnais :

      Avec l’organisation du Festival du Palais du Jeu, et Claire Mariani en particulier, les auteurs ont évoqué le jeu sous toutes ses formes et envisagé des prolongement et des croisements entre différentes formes ludiques et leur présentation au public le plus large.

 

  • des membres de l’association Les Yeux dans les Jeux:

    Permettre aux auteurs, le temps d’une soirée de s’immerger dans la vie de l’association et aux membres de l’asso d’interroger des auteurs ravis de se mettre à leur service autour de quelques bières et de quelques parties de jeux.

Tous ces échanges, fructueux, riches en enseignements et en émotions ont nourri un second aspect de la résidence d’auteurs sur la ville de Toulon. En effet, au-delà de créer la rencontre entre les auteurs et la ville d’accueil, la résidence a également pour but de permettre à la ville de découvrir le jeu sous une forme différente et surtout de manière incontournable et avec une certaine rémanence.
Le projet de jeu in situ ébauché en 2016 a pris en 2017 une nouvelle dimension :
l’idée générale est arrêtée, les mécaniques ludiques en bonne partie définies et différents tests sont à présent à mettre en place.
Baptisé « À l’œil », ce projet de jeu propose un véritable rapport à l’espace toulonnais, puisqu’il est conçu pour être joué sur une place précise du centre ville.
Utilisant les perspectives, les rapports d’échelles et les différents plans d’architecture perceptibles depuis un point précis, situé à proximité d’un lieu de passage très fréquenté (un centre commercial) et aux portes du Palais des Congrès, emblématique du Festival du Jeu de Toulon, « À l’œil » propose aux joueurs de vivre l’espace architectural local de manière ludique et poétique.
Les pistes tracées par les auteurs, en cohérence avec l’espace local, appellent maintenant des développements et des essais techniques que les différents partenaires rencontrés et recrutés (étudiants de l’ESAD, utilisateurs du FabLab, membres de Les Yeux dans les Jeux…) vont pouvoir mener jusqu’à le concrétiser.
Par les rencontres autour du jeu ou la création d’un jeu elle-même, cette résidence a donc pour vocation à marquer les publics et les espaces d’une empreinte durable.
 

« Dès le début j’ai été séduit par l’idée de co-inventer les conditions
pour que chacun des auteurs qui se succèdent ait un espace propre et
participe à la dynamique générale. Et j’ai été ému par la conception de
cette espèce de méta-jeu que va devenir à terme la résidence toulonnaise. »

Juan Rodriguez

 

Petit Historique
2015

Le festival de Toulon au Palais du Jeu et du Jouet lors de sa première édition en 2015 eut la chance d’avoir pour parrain Philippe des Pallières. À cette occasion, l’association « Les Yeux dans les Jeux » eut la possibilité, durant trois jours, de discuter avec l’auteur de ce qu’un Festival du Jeu peut offrir de différent à un auteur et, de manière plus générale, au monde du jeu.
Commença à s’ébaucher une piste : plutôt que de simplement accueillir un auteur pendant la durée du Festival – pendant lequel il est très sollicité, mais jamais pour sa création – pourquoi ne pas lui offrir un temps et un espace décalé afin, justement, de prendre le temps ?
De plus, Philippe émit l’idée de mettre en place un “tuilage”, un dispositif permettant à des auteurs, d’une année sur l’autre, de se passer le relais.

2016

Cette résidence et cette transmissions purent prendre forme dès la 2ème édition du Festival au Palais du Jeu et du Jouet en 2016 : Philippe proposa à Juan Rodríguez de participer à l’aventure avec lui et les deux auteurs purent passer une semaine entière à Toulon – avant et pendant le Festival du Jeu. Une semaine intense de réflexion, de travail, mais aussi de rencontres nombreuses – peut-être trop nombreuses ? – avec différents publics locaux : élèves, lycéens, utilisateurs d’un FabLab.
La formule, encore en construction, commençait à prendre forme : les auteurs avaient enfin plus de temps, mais pas forcément plus de disponibilité. De plus, leurs objectifs commençaient à se préciser : participer à des séances de dédicaces de jeux ? Déjà trop fréquent. Imaginer un jeu lié à la ville de Toulon, oui. Rencontrer des publics pour croiser des expériences et les impliquer dans le projet, également. Mais surtout, commencer à pouvoir poser les bases d’une réflexion sur la profession d’auteur de jeu. Vaste chantier…

2017

Chantier qui a conduit à la résidence 2017 proposée à Juan Rodríguez et Julien Prothière. Une résidence déconnectée du Festival du Jeu – elle eut lieu deux semaines avant – mais permettant, tout à la fois de l’annoncer et de porter sur le devant de la scène médiatique une réflexion qui fait directement écho au dispositif même de “résidence d’artiste” : un auteur de jeux est-il un artiste et un jeu est-il une œuvre d’art ?

À suivre…